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Enfants Perdues

22 août 2008

Anya.

Je suis passée outre. Enfin. Aussi renforcée qu'elle soit, la surveillance maternelle n'a pas fait long feu. Je me sens bien. Parfaitement bien. Calme. Sereine. Pourquoi nous envoient-ils chez lui? De quoi ont-ils peur? Que nous ne prenions le prochain vol pour rejoindre Chloé? Anya et moi n'avons pas été des modèles de sagesse, de discipline et d'intégrité ces derniers mois. Mais que croient-ils? Il est un peu tard pour s'apercevoir que Quelque Chose ne va pas. C'est tellement plus simple de se débarrasser du problème en nous envoyant ici. De se décharger de leurs responsabilités en pensant qu'il va tout régler.

Nous étions de ces enfants qui vivent à l'abris du monde. Protégées par nos familles, soucieuses de nous épargner. Cependant, il arrive un moment où le monde vous rattrape. Vous vous en rendez compte lorsque le "je t'expliquerais quand tu sera plus grande" laisse place à des "tu es grande maintenant, tu devrais comprendre." Rien n'a fondamentalement changé en vous et vous ne saisissez pas comment vous êtes passé d'un extrême à l'autre. Vous avez du basculer dans le monde réel mais quand? Cela reste un mystère. Vous n'avez pas changé. Qu'est-ce qui vous rend soudainement apte à encaisser tout ce dont on vous avait toujours préservé? La lassitude de vos parents?

Ça n'a jamais été une transition en douceur, lente et facile à accepter. C'est une projection brutale que tout votre être refuse. "La crise de l'adolescence" est une invention d'adulte pour qualifier ce phénomène. Déculpabiliser des parents qui n'auraient jamais du vous leurrer en sachant parfaitement que ça ne durerait qu'un temps. Cesse de faire l'enfant!! Mais… pourquoi? Ça n'a jamais été un problème avant. Avant quoi au juste? En général, en cherchant bien, il y toujours un élément déclencheur. Un instant T. Parce que c'est brutal, justement.

Je rentrais chez moi pour voir deux colonnes de flammes s'effondrer. Encore. Et encore. Inlassablement. Comme si le monde entier venait de découvrir un nouveau film d'horreur particulièrement terrifiant. Un nouveau "reality show" susceptible d'obtenir une audience incroyable. Inépuisable délectation devant l'horreur. Les flammes, les décombres, les flammes, les morts… Et Ceux Qui Restent. Le problème vient toujours de Ceux Qui Restent. Les morts sont morts…. Ceux Qui Restent n'ont plus qu'a vivre. Encore. Combien de fois ces images se sont-elles imprimées sur ma rétine? Puis la guerre. Une guerre aveugle. Une guerre qui n'attendait qu'un prétexte pour surgir. Et quel prétexte. Une guerre animée d'une détermination calculatrice, mais aussi d'une rage froide, d'une volonté de vengeance implacable. Œil pour Œil, Dent pour Dent et plus si affinités. Civils pour Civils, mais l'agressé est sur une case mort compte triple. Alors, comme si mes yeux n'attendaient eux aussi qu'un prétexte pour s'ouvrir, j'ai vu. La boite de pandore était ouverte. Le temps de l'innocence est fini, après la joie tu vas pleurer. Le journal télévisé est devenu mon sabbat, mes nuits se sont peuplées de cauchemars qui n'en étaient pas puisqu'ils étaient le réel. La haine, la guerre, la mort. Comment avais-je pu vivre aussi longtemps dans ce monde, et ne pas voir tout ceci? Je ne savais pas. Ce dont j'étais sûre en revanche, c'est que j'aurais donné n'importe quoi pour revenir en arrière. "Heureux les innocents…" J'ai cherché la machine à remonter le temps. Vous savez lorsqu'on est déterminée, les choses sont simples. Les petites pilules sont de puissantes alliées. Sucre d'orge et poudre de perlimpinpin. Peter pan mort, il me restait la fée Clochette. Quand le monde devient trop envahissant, une pincée de poussière de fée m'embarque au pays imaginaire. "Rêve ta vie en couleur".

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21 août 2008

Kassy.

C'est un professionnel. Je lui en veux. Il a dit."Vous vous sentez responsable?"

Responsable? Anya se sent responsable. Elle pense que nous aurions du arriver plus tôt. Aurions du comprendre que cette fois, c'était la fameuse goutte d'eau. Pompon sur la Garonne. Elle a tord. Notre responsabilité n'est pas engagée ici. Elle remonte à bien plus loin. Nous avons fait avec Chloé ce que les mères font avec leurs enfants. Ce qu'Anya et moi avons toujours reproché aux nôtres. Ce qu'Anya refusera toujours d'admettre. Nous l'avons protégée du monde tant que nous avons pu. Pour préserver son innocence. Cette pureté que Chloé avait gardé et qui nous faisait défaut. Nous n'étions simplement pas de taille. Le monde a finit par rattraper Chloé. Notre sollicitude n'avait permit que d'affaiblir ses défenses déjà minces. Oui. Nous sommes: responsables. Mais, jamais, je ne le lui dirais.

Lui explique ce qui s'est passé. Chloé s'est jetée dans le vide sous nos yeux. Je suppose qu'Anya a dit que nous étions arrivées là par hasard. Par la grâce du destin. Ça a du l'amuser de débiter ces conneries. Peut être même qu'elle a finit par s'en persuader. Parce que ça colle avec son besoin de fatalité. Parce que ça épargne Chloé. La vérité c'est que Chloé nous a appelées. Elle nous a donné rendez vous. Elle n'était pas une sainte. Même Chloé. Elle voulait qu'on la voit. Charmante petite Chloé, rieuse et innocente. Charmante petite enfant gâtée, décidée à faire de nous les responsables de son malheur. Charmante petite égoïste capricieuse, décidant de nous punir pour ses échecs. Choisir la fuite c'est tellement plus simple. Nous n'étions pas de taille à la protéger infiniment contre le monde. Elle nous en voulait pour ça. Comme si nous étions tenues d'être ses éternels gardes fous. Elle n'avait pas le droit de faire ce qu'elle a fait. Pas le droit de nous laisser tomber ainsi. Pas le droit d'abdiquer aussi facilement. Pas le droit de créer ce gouffre de culpabilité en nous. Pas le droit de peupler mes nuits d'innombrables cauchemars dans lesquels je revis sa chute interminable.

 Je ne comprend pas. Il me dis. Que je peux pleurer. Je peux lui mettre mon poing dans la gueule aussi. Je le hais. Et je me hais de m'être ainsi laissée aller. Je hais Chloé de nous avoir infligé ça. Et je hais Anya d'être aussi forte et déterminée. Comment peut-elle? Etre toujours ailleurs. Elle dit que le passé est le plus efficace des anxiolytiques. A ceci près qu'elle combine son passé avec de l'héroïne. Tout de suite beaucoup plus efficace. J'ai toujours assuré que seul le sexe avec quelque efficacité apaisante.  Le sexe à outrance. Sans sentiments. Simplement prendre du plaisir. Peu importe où. Avec qui. Chloé, elle, ne jurait que par l'amour et la tendresse. Il semble qu'Anya et moi soyons des dépravées. Seulement, Nous, nous sommes en vie… Cherchez l'erreur.

19 août 2008

Kassy.

Je suis allée le voir aussi. Puisqu'il paraît que nous n'allons: Pas bien. Anya l'ignore simplement. Elle est là bas, mais n'y est jamais tout à fait. Ne lui parle pas. Elle se raconte à elle même. Comme d'habitude finalement. Anya n'est jamais vraiment quelque part. Elle ne parle jamais vraiment. Elle écoute, elle se souvient. J'ai décidé de m'amuser. Avec lui. C'est tout ce que je sais faire. "Vous me trouvez jolie?". Avec ce regard ingénu, qui marche à tout les coups. Puis j'ai enchainé. "Tout les hommes me trouvent Jolie. Ils ont envie de me donner du plaisir. Vous en avez envie vous aussi." Il est resté impassible. Ses yeux ont eu l'air choqués. Et quelque chose d'autre. Pitié? Pauvre petite fille perdue? Je sais ce qu'il pense. Une dépravée. Une catin comme dit mon père. Mais ils ne savent pas. Je dis. "Vous ne savez pas. Ce que c'est d'assumer le regard lubrique de tous ces hommes. Etre une femme un peu jolie de nos jours." Il s'étonne. Une femme. Je ne suis qu'une gamine à peine sortie de l'adolescence. Il ne comprend pas. L'âge n'a rien à voir là dedans. Il est des femmes de 15 ans et des adolescentes de 25.

Il n'avait pas envie de jouer. De s'aventurer sur un sentier périlleux. Peur de ne pas pouvoir résister? Les hommes sont lâches. Et faibles. Enchaine simplement sur le pourquoi du comment. Me demande si je sais ce que je fais ici. Je ne lui parlerais pas de Chloé. Je n'ai rien à en dire. Il me parle d'elle. N'a pas le droit. La colère commence à surgir. Pourquoi tout devient si violent à chaque fois. Cet emportement me fatigue. M'épuise. Me laisse pantelante et sans force.

 Chloé est morte, elle s'est jetée dans le vide. Elle ne souffre plus, elle se détend quelque part sur un petit nuage en compagnie de ses amis les bisounours. A moins que. Son corps ne rôtisse en enfer et que son âme n'endure milles tourments pour la punir d'avoir été si stupide. Je ne sais pas. Je ne veux pas savoir. Elle est morte. Je continue de vivre. J'ai le droit de passer à autre chose. Revenir sur le passé ne fera pas revenir Chloé. J'ai le droit de vivre sans qu'on m'emmerde avec de la psychologie. Je vais : Bien.

17 août 2008

Anya.

Il a sursauté. Lorsque je le lui ai demandé. S'il savait ce qu'il avait de drôle dans cette histoire. Il m'a prise pour un monstre. Je suppose. Ou pour quelqu'un de profondément perturbée. Peu importe en vérité. Il aura au moins quelque chose à leur dire. Je l'imagine noter dans son rapport. Manifeste un plaisir malsain à l'évocation de la mort. Ah ah!

C'était une rencontre étrange. Il s'attendait à ce que je lui parle. A ce que je pleure. Je ne sais pas. J'ai continué à me souvenir. Parce que tout ça m'appartiens. Me retrancher dans un ailleurs passé. N'être plus vraiment là. Juste là où rien ne peut plus m'atteindre.

C'était un chagrin d'amour comme un autre. Un enfoiré comme tout ceux qui avaient déjà traversé la vie de Chloé, la blessant un peu plus à chaque fois. C'était comme si elle les collectionnait. Nous sommes arrivées, Kassy et moi, au même instant sous les fenêtres de Chloé. Juste à temps pour la voir: s'élancer. Comme dans les films d'oncle Walt. Sauf qu'on aurait brulé la pellicule au niveau du happy end. Un pressentiment nous avait mû à son chevet. Pour tenter d'éviter une catastrophe. Un pressentiment avec un léger décalage horaire simplement. Ce genre de chose n'est pas si étrange finalement, nous avions passé toute notre vie ensemble, nous nous connaissions par cœur.

J'en ai profité. Après tout il est médecin, il aurait pu m'aider. Me prescrire quelque chose. Peu importe quoi, du moment qu'en en prenant suffisamment, ça ai un quelconque effet. Depuis la mort de Chloé, ma mère a établi une surveillance constante. Elle soupçonne quelque chose. Simplement, elle ne sait pas encore quoi. Il a eu l'air surpris. Déçu. Il n'a rien répondu. Simplement hoché la tête. D'un air entendu. Maintenant, il sait. Nous ne sommes pas des anges.

15 août 2008

Anya.

J'étais amoureuse de Peter pan. Avant. A l'époque où nos seules préoccupations se résumaient à savoir si nos mères viendraient nous chercher avec un gouter ou si nous allions rentrer à temps pour le club Dorothée. Ce genre de trucs. Avant que je ne me rende compte –que nous ne nous rendions compte- que Peter Pan n'existait pas. Pas plus que Neverland. Peter Pan était mort, et que nous le voulions ou non, nous grandirions. C'était pourtant un rêve charmant. Rester enfant éternellement. "Et toi Anya? Tu feras quoi quand tu seras grande?" Sourire ravi et yeux qui brillent. "Moi? Je seras pas grande". Ils trouvaient ça adorable. Fascinés par l'innocence. S'il n'était pas déjà mort, je tuerais Peter Pan. Histoire qu'il ne donne plus de faux espoirs à d'autres enfants naïfs. Demandons à Disney des indemnités pour le préjudice moral… Publicité mensongère.

Ils aimeraient savoir. Ce qui ne va pas chez moi. Chez nous. Ce qui n'allait pas chez elle. Mais peut on commencer quelque part? Tout est si dérisoire. Ça n'a pas d'importance. Je ne raconte pas. Je ne cherche pas à comprendre. Simplement à me souvenir. Parce que me blottir dans notre passé m'empêchera de me noyer dans mon présent.

Chloé était celle qui a toujours cru que Peter Pan existait. Jusqu'au bout… Elle en est morte. Je crois. Peu importe. Elle croyait aux contes de fées, au grand amour, aux problèmes toujours solutionnés… Ce genre de niaiseries. Pour un peu, on aurait pu penser qu'elle vivait dans le monde des bisounours…. Sauf que ce n'était pas le cas… Au mieux –au pire? - elle était un bisounours parachuté du côté obscur de la force. Parfois je me demande si nous avons vraiment fait tout ce que nous avons pu. Pour la préserver. Perdues dans nos propres vies, nous avons peut être finit par la négliger un peu. Seulement, que pouvions nous faire de plus? L'enfermer dans du coton? La couper du monde? Déjà, à la maternelle nous tentions de lui épargner les moindres désillusions. Conciliabules discrets qui nous faisaient des têtes de conspiratrices avant l'heure. "François, il dit que le père noël, ben il existe pas!" "Je sais… Faut pas l'dire à Chloé". Manœuvres secrètes pour tenter de lui cacher la sombre vérité. Elle y a cru deux ans de plus, et ses grands yeux se sont brouillés lorsqu'elle n'a pu faire autrement que de se rendre à l'évidence. C'était Chloé. Notre trésor. Celui que nous aurions voulut garder à tout prix. Les plus violentes colères de Kassy concernait toujours Chloé. Les affreux jojos qui tiraient les couettes de Chloé. Les sales mômes qui volaient le gouter de Chloé. Et plus tard, les enfoirés qui brisait le cœur – la vie? - de Chloé. Peut être que les choses ont commencé à nous échapper l'année du lycée. Cette année là, Chloé a commencé à tomber amoureuse. A être malheureuse. Et nous avons commencé à ne plus suffire à la consoler. Il y a quelque chose de drôle dans ce dénouement.

Ils nous envoient voir un "Docteur". Parce qu'on va mal. Il paraît. Je devrais le lui dire. L'incongruité de ce dénouement. J'aurais quelque chose à lui dire.

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