Anya.
Je suis passée outre. Enfin. Aussi renforcée qu'elle soit, la surveillance maternelle n'a pas fait long feu. Je me sens bien. Parfaitement bien. Calme. Sereine. Pourquoi nous envoient-ils chez lui? De quoi ont-ils peur? Que nous ne prenions le prochain vol pour rejoindre Chloé? Anya et moi n'avons pas été des modèles de sagesse, de discipline et d'intégrité ces derniers mois. Mais que croient-ils? Il est un peu tard pour s'apercevoir que Quelque Chose ne va pas. C'est tellement plus simple de se débarrasser du problème en nous envoyant ici. De se décharger de leurs responsabilités en pensant qu'il va tout régler.
Nous étions de ces enfants qui vivent à l'abris du monde. Protégées par nos familles, soucieuses de nous épargner. Cependant, il arrive un moment où le monde vous rattrape. Vous vous en rendez compte lorsque le "je t'expliquerais quand tu sera plus grande" laisse place à des "tu es grande maintenant, tu devrais comprendre." Rien n'a fondamentalement changé en vous et vous ne saisissez pas comment vous êtes passé d'un extrême à l'autre. Vous avez du basculer dans le monde réel mais quand? Cela reste un mystère. Vous n'avez pas changé. Qu'est-ce qui vous rend soudainement apte à encaisser tout ce dont on vous avait toujours préservé? La lassitude de vos parents?
Ça n'a jamais été une transition en douceur, lente et facile à accepter. C'est une projection brutale que tout votre être refuse. "La crise de l'adolescence" est une invention d'adulte pour qualifier ce phénomène. Déculpabiliser des parents qui n'auraient jamais du vous leurrer en sachant parfaitement que ça ne durerait qu'un temps. Cesse de faire l'enfant!! Mais… pourquoi? Ça n'a jamais été un problème avant. Avant quoi au juste? En général, en cherchant bien, il y toujours un élément déclencheur. Un instant T. Parce que c'est brutal, justement.
Je rentrais chez moi pour voir deux colonnes de flammes s'effondrer. Encore. Et encore. Inlassablement. Comme si le monde entier venait de découvrir un nouveau film d'horreur particulièrement terrifiant. Un nouveau "reality show" susceptible d'obtenir une audience incroyable. Inépuisable délectation devant l'horreur. Les flammes, les décombres, les flammes, les morts… Et Ceux Qui Restent. Le problème vient toujours de Ceux Qui Restent. Les morts sont morts…. Ceux Qui Restent n'ont plus qu'a vivre. Encore. Combien de fois ces images se sont-elles imprimées sur ma rétine? Puis la guerre. Une guerre aveugle. Une guerre qui n'attendait qu'un prétexte pour surgir. Et quel prétexte. Une guerre animée d'une détermination calculatrice, mais aussi d'une rage froide, d'une volonté de vengeance implacable. Œil pour Œil, Dent pour Dent et plus si affinités. Civils pour Civils, mais l'agressé est sur une case mort compte triple. Alors, comme si mes yeux n'attendaient eux aussi qu'un prétexte pour s'ouvrir, j'ai vu. La boite de pandore était ouverte. Le temps de l'innocence est fini, après la joie tu vas pleurer. Le journal télévisé est devenu mon sabbat, mes nuits se sont peuplées de cauchemars qui n'en étaient pas puisqu'ils étaient le réel. La haine, la guerre, la mort. Comment avais-je pu vivre aussi longtemps dans ce monde, et ne pas voir tout ceci? Je ne savais pas. Ce dont j'étais sûre en revanche, c'est que j'aurais donné n'importe quoi pour revenir en arrière. "Heureux les innocents…" J'ai cherché la machine à remonter le temps. Vous savez lorsqu'on est déterminée, les choses sont simples. Les petites pilules sont de puissantes alliées. Sucre d'orge et poudre de perlimpinpin. Peter pan mort, il me restait la fée Clochette. Quand le monde devient trop envahissant, une pincée de poussière de fée m'embarque au pays imaginaire. "Rêve ta vie en couleur".